La souffrance comme divertissement

  • Plus ancienne société savante du Canada (1824) encore existante, la Literary and Historical Society of Quebec veille à la préservation et à la diffusion du patrimoine littéraire de langue anglaise. Sa bibliothèque, hébergée depuis 1868, comprend quelque 27 000 volumes. L’autrice Louisa Blair évoque la mémoire sinistre et romantique de ce bâtiment ayant déjà abrité l’ancienne prison de Québec.

Par un jour printanier de 1864, la jeune Sarah, qui travaillait pour un boulanger de Québec, vint à la prison commune avec Minnie, une enfant de trois ans, pour assister à la pendaison de John Meehan. Six mille autres personnes avaient fait de même. Les spectateurs grimpèrent sur le rebord des fenêtres et sur les toits, se perchèrent aux arbres presbytériens jusqu’à ce que leurs branches se rompent.

Avant son exécution, Meehan fit un discours passionné, en anglais et en français, dans lequel il affirma n’avoir pas voulu tuer Patrick Pearl, mais seulement lui donner quelques bons coups. Et qu’on ne songe point à venger ma mort, ajouta-t-il. C’était du divertissement dramatique en direct – avant TikTok ou YouTube –, ainsi qu’un événement littéraire. Grosperrin, le poète de rue tapageur de Québec, avait composé pour l’occasion la Complainte du condamné, dont il vendait des copies au public. Lorsque la trappe de l’échafaud s’ouvrit sous Meehan, la foule tomba à genoux et pria pour son âme. Mais Grosperrin se mit à chanter :

John Meehan, pour expier ton crime,

La corde au cou, te voilà donc là-haut !*

 

Les éclats de rire s’éteignirent rapidement. Les exécuteurs avaient mal attaché le nœud, si bien qu’il fallut à Meehan dix bruyantes minutes pour mourir. La foule se retourna et s’enfuit.

Trois ans plus tard, la Quebec Gaol ferma ses portes. La bibliothèque de la Literary and Historical Society s’y installa. Elle propose aujourd’hui des histoires de meurtres comme divertissement.

Sarah fut renvoyée pour avoir emmené à cette macabre sortie l’enfant Minnie, mon arrière-grand-mère. Mais dans notre famille, nous nous régalons encore de cette histoire.

Maintenant, vous êtes coupables vous aussi.

 

* Louis Fréchette, Originaux et détraqués, Éditions Beauchemin, [1892] 1942.

Crédit photo artefact : Patrick Matte

Louisa Blair

Louisa Blair est traductrice et écrivaine. Née à Québec, elle a grandi en Angleterre et est revenue vivre à Québec il y a 20 ans. Elle a traduit de nombreux livres et expositions muséales portant sur l’histoire, la culture et la politique au Québec. Elle a aussi écrit des livres, des nouvelles et des dizaines d’articles sur la religion, les soins de santé, et le droit au territoire des autochtones au Canada. Parmi ses livres on retrouve Les Anglos : la face cachée de Québec (éditions Sylvain Harvey, 2005), Étagères et barreaux de fer : une histoire du Morrin Centre (Septentrion, 2016) et sa traduction de 887 de Robert Lepage (House of Anansi Press, 2019). Une exposition qu’elle a signée sur l’histoire naturelle à Québec au XIXe siècle ouvre en septembre 2019 au Morrin Centre. Les dimanches, elle chante dans une chorale d’église et les mardis, elle joue du piano au pub.

Crédit photo : Yuxi Wang