Lettre à Gabrielle roy

  • La romancière Gabrielle Roy (1909-1983) vit les trente dernières années de sa vie sur la Grande Allée, au Château Saint-Louis. En 1979, elle est hospitalisée à l’Hôtel-Dieu de Québec. L’hospitalité des Augustines ainsi que leurs soins attentifs, l’ont profondément réconfortée, comme elle l’écrit à Sœur Rachel Morin dans sa lettre de remerciements. La poète et romancière Vanessa Bell, accueillie au Monastère des Augustines à l’automne 2021, répond à l’autrice de La détresse et l’enchantement (1984).

Saint-Jans-Cappel, France, 3 avril 2022

Gabrielle,

Il y a la dernière fois où j’ai ouvert tes livres.

Il y a aussi la dernière fois où je t’ai lue.

Ce sont deux choses distinctes.

Vois-tu, il y a des dates qui tissent des histoires, des connivences par-delà nos volontés. Le 17 novembre 2021, j’étais en contact pour la première fois avec ta lettre manuscrite du 17 novembre 1979 qui adresse, quatre ans avant ton dernier souffle, tes remerciements pour les bons soins dispensés par les Sœurs pendant ton séjour à l’Hôtel-Dieu. À ce moment, je n’étais pas à l’hôpital, mais à l’hôtel, en présence de ces mêmes religieuses qui me prodiguaient par leur charisme les mêmes soins qui élèvent.

Au moment de retrouver ta lettre, j’étais de nouveau au Monastère des Augustines, stupéfaite de constater que nous nous inscrivions, une fois de plus, dans un doublon : celui du 22 mars, date de ton anniversaire de naissance. Comme si tout ce qui existait hors de moi concourait à te ramener à mon souvenir. Dès lors, je n’avais plus à t’écrire. Je devais t’écrire.

Je le fais de la Villa Marguerite Yourcenar. Très tôt le matin, je sors jusqu’à ce que la lumière soit pleine, le temps d’être seule avec les bêtes, comme le nommait Marguerite.

Aujourd’hui, je suis entrée dans le jardin qui produit plantes et fleurs, comestibles et médicinales. J’étais en écho au jardin des Augustines où nous avons toutes deux erré. J’ai marché jusqu’au sentier des jacinthes, jusqu’à ce que ta voix croise celle de Marguerite. J’ai marché dans nos langues qui, de ta plaine jusqu’à ses monts, éprouvent la même chose. La détresse. L’enchantement.

J’ai marché, il me semble, de ma voix aux vôtres. J’ai marché, et partout fusaient des boucles de sens, de la naissance à la mort, d’un siècle à un autre : des formes géométriques sont apparues dans l’écriture. J’ai marché à voix basse* et j’ai entendu. Le début d’un roman et son titre. Unes. Singulières et ensemble.

 

Vanessa Bell

* Inspiré de Marche à voix basse, recueil de Nelly Desmarais (2022, Le Quartanier)

Crédit photo artefact : Lettre de Gabrielle Roy adressée à sœur Rachel Morin, 17 novembre 1979, Hôtel-Dieu de Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F1-G18/1:30.

 

Vanessa Bell

Vanessa Bell est codirectrice de l’organisme CONTOURS, animatrice de rencontres littéraires, critique et chroniqueuse culturelle à la radio de Radio-Canada. Sa pratique en arts littéraires lui a permis de performer au Québec et en Europe. Elle est l’autrice des recueils De rivières (2019, La Peuplade) et MONUMENTS (2022, Le Noroît), et est codirectrice de l’Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec 2000 | 2020 (2021, Remue-ménage). Elle a remporté le prix Félix-Antoine-Savard (2021, FIPTR) et est, sous le mentorat de Nicole Brossard, la première Canadienne francophone à être soutenue par le programme Rising Stars (2022, Writers' Trust of Canada).

Crédit photo : Justine Latour