la longue maison
-
Le canivet est un outil directement lié à l’écriture, utilisé depuis les moines copistes du Moyen Âge pour tailler les plumes, mais aussi pour prendre appui afin que la main ne vienne pas tacher le parchemin. La poète Andrée Levesque Sioui a visité l’Îlot des Palais et considéré le rapport à la parole, à la mémoire et à l’écriture d’après ce manche de canivet remontant à la Nouvelle-France (1722).
Le palais est pavé de bons intendants. Certains plus illustres que d’autres. De Talon à Bigot, ici, sous les voûtes et à voix haute, se brassaient les affaires et les idées.
En ces lieux, la pierre est mémoire d’oralité, témoignage d’un temps où les ordonnances étaient criées publiquement et les ententes perlées en colliers de wampum*. Les vestiges qu’on y trouve sont le lien entre les anciens et nous, ils nous parlent dans une autre langue, car leurs codes nous échappent souvent ou en partie. Il reste la trace écrite qui, une fois archivée, garde le sens si le feu ne s’empare pas d’elle.
Les voûtes me rappellent les maisons longues de mes ancêtres,
Nos anciens gouvernements, où les femmes avaient un pouvoir politique.
Au centre d’une vitrine
Un canivet sans lame
Comme un calumet sans pétun**
Petit manche d’ivoire
Dont le métal taillait
Le bec des plumes
Encré d’histoires
Outil des copistes européens
Au territoire de l’oralité
Entre les mains des anciens Wendat
Cette lame aurait pu tailler
Ohonhra’ de ohndehtontahk***
Fierté des coiffes wendat
Des empennages de flèches
Objet rare
Tombé dans l’oubli comme l’oralité de ce pays
Emportant avec elle la lecture des wampums
Protoécriture qui ouvrait le chemin de la pensée
Jusqu’aux bouches des orateurs
Par le biais de Onocoirota****
Harangues éloquentes
Mémoire identitaire
Des gardiens des alliances
Canivet de paix,
de transformation culturelle
Si l’écriture a servi à ne plus perdre les paroles
Qu’a-t-on perdu au change ?
* Collier de coquillages supportant le discours lors d’ententes diplomatiques ayant une valeur de document historique
** Tabac
*** Plumes de dindon sauvage
**** Porcelaine
Crédit photo artefact : Charlotte Montminy
Andrée Levesque Sioui
Née à Québec, Andrée Levesque Sioui est une artiste multidisciplinaire. Elle est l’interprète principale de trois albums, dont Yahndawa’ (2011). Elle enseigne la langue wendat au sein de sa communauté de Wendake depuis 2010. Elle publie dans plusieurs collectifs dont Comme une rivière en dérouine, ainsi que dans Chambres fortes à l’initiative de Valérie Forgues (Hamac 2024). En mars 2021, elle publie Chant(s), son premier recueil de poésie aux Éditions Hannenorak. À l’automne 2024 elle fut de la distribution de la pièce de théâtre Yahndawa’ : ce que nous sommes, de Marie-Josée Bastien présentée au Théâtre Le Trident.
Photo : Nicolas Ottawa